« L’enfant évolue mieux en gambadant entre les racines plutôt qu’en marchant sur du béton »
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Mr Mondialisation : Dans cette grande communauté, malgré la différence entre les clubs, retrouve-t-on une pédagogie ou des valeurs communes ?
Céline Urso : Il existe une charte des CPN, fondée sur le respect de l’autre et de la nature. « L’Homme fait partie de la nature », c’est notre philosophie principale. Sans vouloir être dans le jugement, nous prenons conscience que l’Homme veut maîtriser la nature et a un impact écologique fort dans ses activités. Les CPN sont convaincus qu’il est important de nous réintégrer à la nature, sans chercher à la contrôler, mais plutôt à vivre avec, en harmonie. En ce qui concerne les valeurs, c’est le respect de l’autre et le partage. Quand on se rend compte qu’un lien fort unit l’humain à la nature, cela crée aussi du lien et des amitiés entre nous. À côté de ces valeurs, notre enjeu est l’éducation. Quand on commence à s’intéresser à la nature, à comprendre la p’tite bête et le végétal mal-aimé, à repérer l’utilité de chacun, à admettre que chacun a sa place dans un écosystème, ça change complètement le regard que l’on pose sur notre environnement.
Mr Mondialisation : Mais cette éducation à la nature, la retrouve-t-on sur les bancs de l’école ?
Céline Urso : Cela fait partie du programme. Il y a un grand pan « développement durable », obligatoire, où l’accent est mis sur le tri des déchets et toutes les autres interventions similaires. Elles sont nécessaires et nobles. Mais le pan éducation à la nature demeure une toute petite ligne. Si personne n’a envie de mettre en place des choses concrètes, ça passe à la trappe. Les CPN incitent vraiment les enseignants à sortir avec les élèves. Au lieu de faire le cours de biologie dans la classe, allons dehors sur le terrain ! L’enfant mémorise davantage quand il vit des sensations et des émotions.
Mr Mondialisation : N’y a-t-il pas non plus le risque de voir les enfants bouder la nature pour les écrans ? La télévision ou les smartphones attirent plus que les cabanes, non ?
Céline Urso : Là, malheureusement, ce n’est plus un risque, mais un constat. Effectivement, même notre génération est entraînée là-dedans. La société a évolué de telle sorte que les enfants n’ont plus d’expérience de nature. Pourtant, quel va être son plus beau souvenir d’enfance ? Telle ou telle émission de télé ? Les souvenirs de nature sont bien plus importants pour la construction émotionnelle, physique… à tous les niveaux en fait ! Au plan psychomoteur, par exemple, l’enfant évolue mieux en gambadant entre les racines ou en grimpant aux arbres plutôt qu’en marchant sur du béton. Encore faut-il que la barrière psychologique de la saleté et du danger soit passée. L’exemple classique est celui du bâton : la plupart des parents ne laisse pas leurs enfants jouer avec des bâtons sous prétexte qu’ils vont se faire mal. Chez les CPN, déjà, on appelle ça des branches, non des bâtons. Avec ces branches, l’enfant va construire des cabanes, jouer aux chevaliers, s’amuser avec les autres gamins. C’est moins dangereux que de traverser la rue. Mais encore une fois, on veut tout contrôler.
Mr Mondialisation : Avez-vous espoir dans ces jeunes générations, ces enfants qui apprennent à protéger leur environnement naturel et continueront peut-être à le faire une fois adultes ?
Céline Urso : Je suis foncièrement optimiste. La prise de conscience écologique des jeunes générations est beaucoup plus profonde que chez les autres, de mon point de vue. L’enfant ou l’ado d’aujourd’hui baigne dans un monde où il va falloir se bouger les fesses. Ils le savent. Certains sont révoltés contre les générations précédentes, car tout est à réparer après leur passage. Je pense par exemple à cette jeune fille suédoise de 13-14 ans qui a fait un appel solennel sur les réseaux sociaux. Je vois aussi des étudiants qui tentent de bouger les lignes dans le monde de l’entreprise. De nombreuses initiatives citoyennes, écologiques et solidaires se démultiplient, j’en ai l’impression. Les CPN en font partie en formant des écocitoyens.
Mr Mondialisation : N’avez-vous pas peur, toutefois, qu’il n’y ait un jour plus d’espaces naturels à connaître ou à protéger du fait de leur destruction progressive ?
Céline Urso : Bien sûr, je suis profondément attristée face à l’érosion de toute la biodiversité. Ça me rend triste quand on dit qu’on va observer des papillons et que le p’tit vieux nous rétorque qu’il n’y en a plus, avant d’ajouter qu’à son époque il suffisait de regarder par la fenêtre pour voir trois papillons se poser dans le jardin. Alors que nous, en animation, nous les cherchons sans succès ! Les chiffres sont probants. C’est plus qu’alarmant. Cependant, si certaines choses paraissent irréversibles, la nature garde une extraordinaire capacité de résilience. Il suffit parfois de bonnes volontés et de prendre une décision pour arrêter de détruire un espace. Dès qu’un programme de protection se met en place pour faire cesser toute activité humaine sur un site, la nature se régénère en très peu de temps. La nature, on doit la laisser un peu tranquille ! Il faut des espaces avec une flore et une faune sauvage, des forêts sans y chercher à produire du bois… pareil pour les milieux marins et tous les endroits du monde.
Mr Mondialisation : Pourquoi s’est-on tant coupé de la nature ?
Céline Urso : Pourquoi, d’un coup, tout s’est transformé en dictature de pouvoir, d’argent, de consommation ? Je ne sais pas… Mais intimement, je pense vraiment que ça ne fonctionne pas ainsi. N’oublions pas que nous sommes des mammifères. Un truc s’est passé dans l’évolution qui a fait qu’on a voulu jouer autrement, avec des outils de plus en plus perfectionnés.
Mr Mondialisation : Par notre intelligence différente…
Céline Urso : Différente, oui. L’être humain s’intéresse trop au monde végétal et animal de manière anthropomorphique. Il regarde la nature selon ses propres repères intellectuels. Certains naturalistes ont compris que chaque espèce avait un fonctionnement qui lui est propre et qui nous dépasse. Il convient de se décentrer. Apprendre à connaître et protéger la nature ensemble, avec d’autres, permet de se décentrer. Ce qui ouvre d’ailleurs au bonheur. Dès que tu portes un regard sensible sur les choses, et non un regard pragmatique, sans chercher le rendement, tu influes alors sur ton bonheur et ton environnement. L’Homme n’a pas besoin de rendements, il a profondément besoin de nature. Ce besoin de nature a été oublié parce qu’on a tout bétonné.
Mr Mondialisation : L’Homme a besoin de nature, notamment de ces mal-aimés qui nous dérangent, pour lesquels la FCPN lance sa prochaine campagne ?
Céline Urso : Ah, le gang des mal-aimés : l’ortie, la ronce, la guêpe, la chauve-souris, l’araignée, tous ceux qui nous font peur ! Nous avons tous des idées préconçues. En effet, en avril nous lançons une campagne de trois ans sur ces mal-aimés. Notre objectif est de tenter de renverser ces représentations. Nous croyons tous en des choses parfois fausses, car il manque la connaissance. C’est la peur de l’inconnu, de l’étranger, qui aboutit aux préjugés.
J’ai fait un stage araignée avec Christine Rollard, la Madame araignée en Europe, une des marraines de la FCPN : Dans le groupe, certaines personnes avec des phobies. Finalement, elles sont parvenues à en prendre dans la main, à les regarder au microscope, à voir comment elles étaient belles et soyeuses. En plus d’avoir une utilité, elle a le droit d’être là ! C’est un individu ! Comment l’humain peut-il croire que lui seul a une individualité ? Toutes les espèces qui composent la biodiversité en ont une. L’araignée a des gosses : quand tu la tues, ils deviennent orphelins.
Mr Mondialisation : Mais d’où vient cette phobie ?
Céline Urso : Un film documentaire sur les serpents, dont la FCPN a remis le prix meilleur film pédagogique, va bientôt sortir : Des serpents dans nos têtes. Le titre est évocateur ! On y apprend que 80% des gens ont peur des serpents, une peur profonde qui s’inscrit dans nos gènes, qui se transmet insidieusement de génération en génération. Mais encore une fois, c’est la peur de l’inconnu et de la différence. Il y a aussi le poids de la culture, de la représentation symbolique de l’animal qui traverse les âges. Quand tu te libères de toutes ces croyances, tu t’ouvres à la connaissance, tu comprends la complexité du monde, tu es amené alors à te décentrer et à être beaucoup plus respectueux de ce qui est différent.
Mr Mondialisation : Vous cherchez donc à donner plus de visibilité à cette nature devenue invisible, car différente et mal-aimée ?
Céline Urso : L’invisible est un vrai beau sujet : Comment mieux connaître ce qu’on ne voit pas et ce qu’on ne comprend pas ? Être chez les CPN, c’est aussi croire à une autre vision du monde, à la solidarité et à l’entraide. L’entraide, l’autre loi de la jungle, de Pablo Servigne, c’est un bouquin que j’aime bien. Depuis qu’on est tout petit, on nous apprend que la société est une société de compétition, où règne la loi du plus fort. Dans la nature, effectivement, le lion a besoin de tuer la gazelle, mais il ne capitalise pas dessus. Quand tu comprends comment la nature fonctionne, tu te prends de belles leçons dans ton humanité. En club nature, on se rend compte que les mécanismes sont bien plus empathiques qu’ils ne paraissent. Les parasites ne le sont pas en réalité ! Chaque maillon est important dans un écosystème. L’Homme en est un parmi les autres. Sauf qu’à un moment donné, il a voulu jouer au magicien. Maintenant il est devenu sorcier.
Propos recueillis par Louis Ruyant.