Pour un droit à la nature !
Suivons l’auteur et chercheur américain Richard Louv, pour regrouper sous l’expression de “syndrome de carence de nature” (nature-deficit disorder) tous les troubles, de la santé comme de la pensée, psychologiques comme politiques, susceptibles de naître à cause de vies menées dans l’absence de nature (loin des espaces naturels, loin des végétaux, des animaux autres qu’humains, etc.).
Nous en serions presque tous victimes. Mais certains d’entre nous plus que d’autres.
Enfants des villes
A commencer par les enfants des villes qui cumulent : un âge où l’on est plus vulnérable à l’absence d’éléments indispensables au développement comme à la présence d’éléments toxiques et nocifs ; des besoins particuliers d’espaces pour déployer leur énergie et explorer le monde ; des vies dans des milieux urbains serrés, fermés, et de plus en plus surveillés et interdits (on sait qu’en un siècle, le périmètre autour de chez eux que les enfants peuvent librement parcourir est passé de plusieurs kilomètres à quelques dizaines de mètres !).
D’après certains travaux, qui demandent encore à être solidement confirmés, de nombreuses pathologies (depuis les allergies jusqu’aux troubles de l’attention en passant par l’obésité) augmenteraient à mesure qu’augmentent pour les enfants l’éloignement de la nature et la privation de nature.
Indépendamment des pathologies, effets mesurés et confirmés : sur les connaissances, qui diminuent (la majorité des enfants américains, par exemple, ne font plus les liens entre ce qu’ils mangent et ce qui est cultivé, élevé, etc. – pensent par exemple qu’ils ne mangent pas un animal quand ils consomment du jambon ; qu’ils ne mangent pas des végétaux quand ils mangent des pâtes…) ; sur les stéréotypes, qui augmentent (la nature devient une nature artificielle, de dessin-animé ou de jeu vidéo, où tout est beau et harmonieux parce que tout est aseptisé, organisé, dévitalisé).
Ces enfants des villes – qui avec un peu de chance remarqueront quelques plantes sauvages dans les fissures du mur de la cour de récréation –, comment pourront-ils agir et penser écologiquement ?
Quels adultes deviendront-ils, ces enfants qui n’auront senti, respiré, marché… que dans des espaces artificiels, où tout autour d’eux aura été humain ou fabriqué par de l’humain ? Qui parfois, en plus, n’auront mangé que des aliments dont le mode de production ou de fabrication ne nous relie même plus à la nature qui nous nourrit ?
Toute la vie… dedans
Il n’y a pas que les enfants qui subissent ces vies hors-nature : elles concernent aussi les adultes (âgés ou moins âgés) qui, à cause de certaines maladies, de certains handicaps, sont moins autonomes ou mobiles que d’autres. Je pense notamment à tous les adultes qui vivent dans des institutions. Lesquelles, souvent, n’ont pas de jardin. Ou des jardins tellement mal pensés qu’ils sont dangereux et par conséquents jamais ouverts ou jamais fréquentés.
Conséquence, mesurée en France et dans d’autres pays européens : des résidents d’institutions (type maisons de retraite) qui passent des mois et des années entières, et souvent toutes les dernières années de leur vie, sans plus jamais sortir. Quand ces personnes nous disent souffrir d’ennui, d’isolement, à en perdre parfois la raison ou le goût de vivre, alors qu’elles sont entourées d’autres humains, n’est-ce pas aussi de cela qu’elles nous parlent, de cet état hors-nature auquel nous les condamnons ?
Un droit à la nature !
Plus de vivant(s) à nos côtés, à leurs côtés, du vivant animal, du vivant végétal, qui partagent avec nous cette nature-là. Quand on pense à l’écocide en cours, on pense à cette nature qui devrait être autour de nous… et on en néglige parfois cette dimension essentielle : ce que l’absence de cette nature autour de nous détruit de nature en nous !
Et si l’on mettait toute l’énergie que certains mettent à vendre des robots-animaux (à des personnes vulnérables pour qu’elles ne meurent pas d’ennui sous les lumières artificielles de locaux froids) à se battre pour que soit un jour inscrite, dans les déclarations des droits humains, un vrai “droit à la nature” ?
Car pour lutter contre ces phénomènes, pas le choix : il faut un vrai mouvement d’ampleur, une autre “affaire du siècle”, pour exiger un réel droit à la nature pour tous, et donc un réel “devoir de nature”, une réelle obligation de sorties et de jardins pour les lieux de vie des enfants comme des personnes malades ou handicapées, pour les crèches et les écoles comme pour les hôpitaux.