Malforestation ? Paradoxalement, le regard très positif que nous portons sur certains domaines, par exemple les forêts (les arbres) et les abeilles, nous cache plus facilement les pratiques qui les détruisent : l’apiculture industrielle et la sylviculture industrielle.
Le réalisateur, François-Xavier Drouet a sorti en septembre dernier un précieux film, Le Temps des forêts, pour faire voir justement la malforestation : l’appauvrissement ou/et la destruction progressives des forêts françaises.
Le site de la revue Ballast vient de publier un entretien avec lui. En voici les premières questions. Pour vous donner envie d’en lire la suite directement sur leur site.
—
Entretien avec François-Xavier Drouet :
Les forêts ne sont pas la porte d’entrée habituelle pour faire un documentaire politique…
Avant, comme l’immense majorité des Français, je ne connaissais rien de la forêt. C’est à peine si je savais identifier quatre espèces d’arbres ! Il y a 10 ans, je me suis installé sur le plateau de Millevaches, en Creuse, une région fortement boisée. Je me croyais au milieu d’un espace naturel et préservé, mais je me suis vite rendu compte que ces forêts étaient en réalité très récentes et artificielles. Elles avaient été plantées après la Seconde Guerre mondiale, suite à la déprise agricole. Ces forêts subissent maintenant une exploitation intensive et brutale. Entre 1 000 et 1 500 hectares sont coupés à blanc chaque année sur le plateau, laissant la terre à nu et de grandes balafres dans le paysage. Nous sommes à la pointe d’un phénomène d’accélération de l’industrialisation des forêts, qui se généralise partout en France. J’ai conçu ce film comme un voyage dans le monde de la gestion forestière et de ses bouleversements.
Quels sont justement les bouleversements entraînés par l’industrialisation ?
« Quand on plantait un arbre, on n’imaginait pas le récolter soi-même. C’était pour les enfants ou les petits-enfants. On essaie désormais de faire coïncider le temps de l’arbre avec le temps du marché. »
On observe d’abord une simplification de la sylviculture avec la généralisation des monocultures, l’enrésinement, la promotion d’essences à croissance rapide, l’usage de pesticides et d’engrais, la banalisation de la coupe rase… En bref, nous répétons les mêmes erreurs qu’au sein de l’agriculture productiviste. On raccourcit aussi les cycles de coupes. Avant, quand on plantait un arbre, on n’imaginait pas le récolter soi-même. C’était pour les enfants ou les petits-enfants. On essaie désormais de faire coïncider le temps de l’arbre avec le temps du marché. On coupe des douglas en pleine adolescence, à 40 au lieu de 80 ans ! Les années 1990 ont vu l’arrivée d’une mécanisation lourde qui a transformé le travail en forêt. Les abatteuses ont remplacé les bûcherons manuels dans le Massif central ou dans les Landes. Ces énormes machines peuvent remplacer le travail de sept à douze bûcherons en fonction des parcelles. En aval, les scieries se sont adaptées en s’équipant de scies ultraperformantes avec des débits importants. Les industriels ont fait entrer la forêt dans l’ère du « just in time ». Elle doit se standardiser, produire du bois bien calibré et des rendements prévisibles. Avec cette logique, ce n’est pas à la machine de se plier au vivant, mais à la forêt de s’adapter à l’industrie.
C’est ce que vous appelez dans votre film « la malforestation » ?
Cette formule revient à Marc Lajara, un sylviculteur qui a été parmi les premiers lanceurs d’alerte sur le plateau de Millevaches. Ce concept éclaire bien notre situation en France. Le grand public pense le problème de la forêt en termes de déforestation, car il a en tête la destruction des forêts tropicales — que l’on connaît d’ailleurs presque mieux que nos forêts tempérées. Ici, le problème ne se pose pas de cette manière. La surface forestière reste à peu près stable. C’est la qualité de nos forêts, leurs richesses, leur biodiversité, qui décroissent. 50 % des forêts françaises n’ont qu’une essence d’arbres ! On pense souvent que raser une forêt n’a rien de grave si l’on replante après. C’est d’ailleurs ce que communique la filière bois. Or c’est faux. Un arbre n’est pas égal à un arbre ! Si l’on rase une forêt diversifiée pour planter une monoculture de douglas, cela n’a rien d’écologique. En résumé, le problème se pose ainsi : quelle forêt voulons-nous ? Un champ d’arbres que l’on moissonne comme du blé ou une forêt vivante où l’on produit du bois en respectant les dynamiques naturelles ?
Quelles conséquences environnementales provoque cette gestion forestière ?
La première se situe au niveau des sols. Les monocultures de résineux acidifient et appauvrissent les sols. L’exploitation à l’aide de grosses machines — machines qui peuvent peser jusqu’à quarante tonnes — peut aussi provoquer des tassements irréversibles. La coupe rase favorise l’érosion qui, en cas de pluie, peut polluer gravement les rivières. Sur le plateau de Millevaches, la grande majorité des cours d’eaux sont ensablés. Les frayères où se reproduit la faune aquatique sont détruites. Quand les professionnels replantent les parcelles, ils utilisent encore des engins lourds, type pelle mécanique. La pratique la plus dommageable étant le dessouchage. Généralisée dans le Massif central et les Landes pour faciliter le travail des replanteurs, cette pratique déstructure les sols et retire de la matière organique. À terme, les sols forestiers, souvent fragiles, peuvent devenir stériles. Plus rien ne poussera, mais l’industrie a déjà la solution puisqu’elle introduit des engrais en forêt ! Une aberration. On met sous perfusion un écosystème autonome qui produit, naturellement, son propre humus. Lorsque l’on se balade au sein d’une monoculture, on est aussi frappé par le silence. Il n’y a plus de biodiversité. Ce sont des bois noirs, un désert vert. Les aiguilles par terre ne se décomposent pas. Les oiseaux n’ont plus rien pour nicher. Sans vieux arbres ni arbres morts, tout un cortège d’insectes qui leur sont inféodés ont disparu.
Quand on dégrade la nature, on frappe aussi les humains. Cette industrialisation a un impact social…
La suite sur le site de la revue Ballast …