Un jardin prothétique en cas de troubles cognitifs
Rappel : ces recommandations sont des exemples ou illustrations ; ne sont pas des recettes ; ne sont pas exhaustives ; ne sont pas forcément les plus essentielles ; ne sont pas ajustées à la situation particulière qui vous amène ici ; ne remplacent pas celles qui naîtront par travail commun de professionnels et des usagers… Donc : prudence ! |
Peu importe ici quelle maladie (la plus connue est la maladie d’Alzheimer, mais c’est loin d’être la seule) ou quel accident est à l’origine des troubles cognitifs. L’essentiel est de voir comment le jardin thérapeutique peut prendre en considération ces troubles, s’inscrire dans une démarche « centrée sur la personne », pour rendre le jardin le plus ajusté, le plus prothétique possible.
Prothétique ? On entend par « prothétique » : tout élément, dispositif, etc., permettant de compenser ou de minorer l’altération d’une fonction ou d’un membre. L’élément prothétique peut éviter un handicap sensoriel (lunettes, appareil auditif…) comme un handicap cognitif (usages de repères ajustés pour favoriser l’orientation…). |
Les quelques recommandations ci-dessous donnent un aperçu d’une partie de cette démarche. Quand elle est menée, elle permet bien, comme de nombreuses études en témoignent, de modifier fortement la manière dont vivent ces personnes (augmentation de la qualité de vie et du bien-être, amélioration du sommeil, diminution des « troubles du comportement » et des phénomènes dits d’agitation, etc.).
Des ajustements particuliers
Prenons par exemple trois particularités, parmi toutes celles qui vont nous guider.
Des formes très fréquentes d’hypersensibilité sensorielle et émotionnelle.
Qui nous amèneront à être très vigilants :
- sur ce qui risque de provoquer des phénomènes de saturation, not. sensorielle (trop d’odeurs, de bruits, etc., trop rapidement et longtemps) ;
- sur ce qui risque de provoquer angoisse ou anxiété (sculpture étrange, cul de sac…).
- Et à favoriser inversement tous les supports de rêverie, d’apaisement, tout ce qui participe d’atmosphères émotionnelles rassurantes…
Soulignons qu’au jardin, il est beaucoup plus facile qu’à l’intérieur de lutter contre l’ennui… sans tomber dans l’activisme. Beaucoup de personnes ne s’ennuient en regardant des plantes, des animaux, de l’eau qui coule, etc., sans pour autant devoir agir de façon plus active.
Des besoins très importants d’activité et de marche, à toute heure…
Ce besoin conduira à bien penser les cheminements, et notamment le parcours principal, afin qu’il soit à la fois :
- sûr et facile, pour que les personnes ne se perdent pas ;
- suffisamment varié pour ne pas provoquer l’ennui et le sentiment de tourner en rond ;
- assez grand pour réellement permettre de se dépenser ;
- mais avec des incitations à se (re)poser pour minorer le risque de s’épuiser.
Dans le même ordre d’idées, on devra se poser tout particulièrement la question de l’accès au jardin…, y compris la nuit !
Il peut paraître compliqué que les personnes ayant besoin d’agir et/ou de marcher la nuit le fassent dans le jardin. Pourtant, cela demande aux professionnels moins de temps et d’énergie, et provoque moins de problèmes en chaîne, que lorsque ces personnes, (se sentant) enfermées dans leur étage, vont de chambre en chambre, réveillent d’autres résidents, ont des crises d’agitation au milieu de la nuit, tentent de sortir par les fenêtres ou les escaliers de secours, etc.
[Pour une approche approfondie de ces questions, nous ne pouvons que renvoyer vers la bibliographie, ainsi que vers la partie du livre Jardins thérapeutiques et hortithérapie qui leur est consacrée.] |
Des troubles cognitifs (orientation, certaines formes de mémoire, etc.)
C’est là que l’aspect prothétique doit être particulièrement travaillé. Pensé, trouble par trouble, pour à chaque fois ajuster le jardin, voir comment ils peuvent être compensés, ou leurs conséquences amoindries.
Par exemple :
Difficultés progressives à mémoriser (y compris l’accès au jardin, s’il est compliqué)
=> On veillera à ce que le jardin soit visible depuis l’unité où vivent ces personnes et qu’elles puissent aisément, directement, passer de la vue au jardin…
=> Sinon, on travaillera sur le chemin qui y mène, les repères permettant d’aider à le suivre, etc.
Difficultés progressives à se repérer et à s’orienter
Elles nécessitent les précautions suivantes :
=> Éviter les chemins en cul de sac. Quand un chemin ne peut revenir, alors plusieurs solutions. par exemple : veiller à créer au bout du chemin un petit rond-point central qui permet de tourner et de repartir en sens inverse ;
=> Rendre moins attirants les chemins secondaires (en jouant sur les angles, les couleurs, les lumières : il existe désormais pour chacun de ces aspects des recommandations assez précises).
=> Globalement : penser les repères pour qu’ils fassent appel à plusieurs modes, qu’ils favorisent les formes de mémoire et de mémorisation les plus solides. Les panneaux et indications écrites sont bien moins mémorables que des éléments sensoriellement, émotionnellement, esthétiquement, frappants (une fontaine, une sculpture, un massif de lavandes, etc.).
Divers
Faudrait-il en ces jardins des plantes spécifiques ? Aptes notamment à éveiller des souvenirs. Oui…, mais il les faut dans tout jardin ! Toutes les aromatiques, les fleurs de jardins de curés, les vivaces les plus courantes, les plantes liées à la région… qu’on doit trouver dans tout jardin, suffisent à jouer ce rôle. Comme les prairies fleuries (avec leurs coquelicots, bleuets, cosmos, etc.) et certaines graminées (blés, maïs, lins, etc.), dont on aurait tort de priver les autres jardins.
Animaux : leur présence est importante, voire essentielle, encore plus si l’établissement est en milieu rural et accueille des personnes ayant toutes ou presque toutes eu des jardins avec des potagers, des poules ou des lapins…
On favorisera en effet toujours la présence, dans le jardin, d’éléments de familiarité liés à la manière dont les personnes ont toujours vécu les jardins.
Enfin, mais cela fera l’objet ultérieurement d’une page spécifique, on veillera dans ces jardins particulièrement à ce que le jardin lui-même et ses végétaux aident à mieux percevoir et suivre le climat, les saisons, les lumières, les cycles, etc. Aident à mieux entrer en relation avec tous les éléments naturels.
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Trois dernières précisions :
Prendre en considération les troubles cognitifs pour qu’ils empêchent le moins possible tous les usages du jardin n’empêche évidemment pas l’essentiel : travailler sur ces usages, et notamment sur tous les usages du jardin qui reposent sur ce que les personnes aiment faire, peuvent faire, plutôt que sur les capacités qui justement sont altérées. C’est ainsi que, par exemple, on favorisera les supports en lien avec l’imagination, les sensations, les émotions, les créations, etc., plus que ceux impliquant certaines formes de mémoire ou de raisonnement abstrait.
Travailler sur les troubles cognitifs plutôt que sur “la maladie d’Alzheimer” ou “le jardin pour malades d’Alzheimer” permet de ne pas limiter : il existe de très nombreuses situations (en lien avec des maladies, des séquelles d’accidents, des deuils, des traumatismes, etc.) où les facultés cognitives sont troublées. Et les jardins qui en tiennent compte sont donc très hospitaliers pour toutes les personnes vivant ces situations.
Enfin, évidemment : le jardin, même le mieux conçu, ne sert à rien si personne n’y va ! Il faut donc travailler tout particulièrement, surtout quand les usagers ont des troubles qui créent des craintes chez les autres (craintes qu’ils se perdent, se mettent en danger, etc.), la question de l’accès, et des conditions d’accès, au jardin.
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De quelques jardins particuliers…
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