Préalables : redisons-le une dernière fois : ces préalables peuvent paraître loin du jardin et de ses dimensions concrètes. Ils sont pourtant indispensables si l’on veut que le jardin soit vivant, fréquenté, pérenne – et que chaque usager puisse donc y vivre pleinement tout ce qu’il permet d’y vivre.
Le droit à aller dehors et à être dehors
Premier de ces préalables, sans lequel le jardin peut exister mais sera vide… de ceux qui en ont le plus besoin : la reconnaissance que le droit à aller (le plus librement possible) dehors et à rester dehors est un droit fondamental pour toute personne, quel que soit son état de santé. Et donc que le jardin soutient la volonté des professionnels d’aider à ce que les usagers puissent exercer ce droit.
La liberté, autant que la sécurité (le droit au risque)
Autre point essentiel : travailler pour que le jardin soit un espace de liberté où les usagers puissent être les plus libres possibles. Ce qui signifie aussi reconnaître l’existence de ce droit au risque qui fait partie de la vie. Et exiger de nous (en tant que professionnels du prendre soin) de mener toujours une solide réflexion dès que, pour un établissement, existe le risque que pour protéger quelqu’un (du danger, du froid, de la chute, des autres, etc.) et le maintenir en santé et en vie… on en vienne à lui ôter le désir de rester en santé et en vie. [Tout le monde ne peut pas, comme un certain loup, s’enfuir et courir encore…]
Le bien-être et le plaisir, déterminants essentiels de la santé
On sait que le bien-être et le plaisir sont des déterminants majeurs de la santé. Et qu’ils jouent pour celle-ci un rôle aussi important que l’absence de maladie ou une bonne hygiène. On le sait, mais… il faut quand même être vigilant, notamment dans des lieux où pour tout un ensemble de raisons (des très bonnes et des moins pertinentes) on est plus centré sur le cure (soigner) que sur le care (prendre-soin).
Les motivations, les plaisirs, le bien-être que les personnes éprouvent au jardin thérapeutique doivent donc être reconnus comme aussi essentiels, aussi parties prenantes du prendre-soin et du projet thérapeutique de la personne que des soins plus classiquement considérés comme tels… Cette reconnaissance est d’autant plus importante que le jardin thérapeutique s’appuie justement sur le plaisir et la motivation, y compris pour permettre des soins qui seraient refusés ou délaissés sans lui. (Typiquement : ces personnes qui ne sont pas motivées pour aller dans une salle pour faire des mouvements destinés à rééduquer tel membre ou telle fonction suite à une opération… et qui font ces mouvements avec plaisir dès qu’ils ont lieu au jardin dans le cadre d’une activité, par exemple de jardinage (arrosage, taille, plantation…).) Ces points seront largement évoqués dans les parties de ce site consacrées aux différentes formes d’activités et d’hortithérapies.
Sous l’égide du prendre-soin (care)
Plus globalement, il est essentiel que le jardin thérapeutique s’inscrive sous l’égide du prendre-soin. Prendre-soin : approche globale de nos actions, incluant les soins, rappelant que la vocation des professionnels (de l’établissement, du service…) est de permettre à des personnes confrontées à certains troubles, à certaines incapacités, d’en être le plus soulagées possible pour pouvoir continuer à vivre leur vie à leur manière. Le prendre-soin s’appuie sur des actions soignantes et soutenantes (qui nourrissent donc l’autonomie, la confiance en soi, etc.) destinées à aider la personne à améliorer ou maintenir le meilleur état psychique, émotionnel et physique possible pour viser un objectif plus global : continuer le plus possible à se développer, à conserver l’estime de soi, à désirer guérir, à pouvoir vivre avec sa maladie sans être écrasée par elle ; etc.
Soyons clairs : si ce préalable n’est pas présent, si vraiment l’établissement vit le jardin thérapeutique comme une sorte de divertissement, de décoration, de gadget, considérant que l’essentiel est le soin (entendu là comme le seul travail technique sur le pathologique et sur le corps) et que le reste est accessoire, alors le jardin sera en effet vidé de son pouvoir thérapeutique.
Le jardin, espace de résilience
Autre préalablesimportant, qui nous amène à penser le jardin comme un espace de résilience, apte à permettre aux personnes de s’appuyer sur toutes les “forces de vie” (chères à Marie-Françoise Collière) – celles qu’ils ont en eux, celles qui habitent le jardin, celles qui naissent dans les relations – pour vivre avec la maladie qui les éprouve. Ce pouvoir résilient du jardin dépend lui-même de quelques autres préalables, par exemple :
- mettre en valeur les différences qualifiantes : toujours chercher à permettre à la personne d’utiliser les capacités qui fonctionnent (par exemple l’imagination, très riche chez des personnes chez qui la mémoire, en revanche, s’appauvrit…) ; toujours s’appuyer sur ce que certains symptômes améliorent (la sensibilité émotionnelle par exemple) plutôt que sur ce qu’ils altèrent (par exemple la capacité cognitive à calculer, planifier, etc.) ; sur les sens qui marchent le mieux ; etc.
- s’appuyer sur l’autonomie (aussi ténue soit elle), sur ce que la personne, dans sa relation avec le jardin, va sentir qu’elle peut faire, a envie de faire, a besoin de faire… : les humains, pour autant qu’on les guide quand la nature leur a été lointaine, retrouvent le chemin de relations bienfaisantes avec la nature ; et les jardiniers ne jardinent pas par hasard de telle ou telle manière : elle reflète généralement celle qui correspond à leur capacité profonde à prendre-soin d’eux-mêmes. A nous de faire confiance en cette capacité et de l’aider à s’affirmer quand elle est très fragile.
- vivifier toutes les occasions du prendre-soin mutuel. Les personnes dont on prend soin souffrent souvent de ne plus prendre soin. D’avoir le sentiment de toujours recevoir sans pouvoir jamais donner. Le jardin thérapeutique fournit de nombreuses possibilités, pour autant qu’on veille à les promouvoir, pour rétablir l’équilibre. Ne serait-ce qu’en prenant soin : d’un massif, d’un arbre, d’un animal, etc.
Le petit prince s’en fut revoir les roses. […] – Vous êtes belles, mais vous êtes vides, leur dit-il encore. On ne peut pas mourir pour vous. Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croirait qu’elle vous ressemble. Mais à elle seule elle est plus importante que vous toutes, puisque c’est elle que j’ai arrosée. Puisque c’est elle que j’ai mise sous globe. Puisque c’est elle que j’ai abritée par le paravent. Puisque c’est elle dont j’ai tué les chenilles (sauf les deux ou trois pour les papillons). Puisque c’est elle que j’ai écoutée se plaindre, ou se vanter, ou même quelquefois se taire. Puisque c’est ma rose. |
Le jardin, espace de relation(s) profonde(s) avec la nature
Si l’on partage les convictions et les valeurs fondamentales de l’écopsychologie, alors, ce préalable est acquis. Si en revanche on ne les partage pas, il faut alors au moins une condition pour ne pas empêcher les usagers du jardin d’y vivre ce qu’ils peuvent y vivre : reconnaître, respecter, favoriser si tel est leur souhait, que des personnes vivent avec des éléments naturels, vivent avec des vivants autres qu’humains (végétaux, animaux…), des relations fortes, profondes, essentielles pour eux. Tout professionnel est évidemment libre d’être sceptique sur de telles relations (comme de ne pas partager des croyances, des vécus spirituels, etc.), de ne pas vivre la nature de la même manière, mais il se doit de ne rien faire qui puisse les empêcher (rappelons qu’une simple blague peut parfois suffire à briser la fragile confiance qu’a une personne en sa capacité à vivre telle ou telle expérience).
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