Le site des jardins thérapeutiques et de l'hortithérapie
Le blog – Hortithérapie et jardins thérapeutiques au XIXe siècle
Il existe peu de ressources sur les débuts “officiels” (dans des établissements hospitaliers) des jardins thérapeutiques et de l’ hortithérapie, en France notamment. Ce qui rend d’autant plus précieux cet article qui vient de paraître sur le site de la Bibliothèque Nationale de France.
Bonne lecture !
Hortithérapie : premières expériences.
Par Françoise Deherly.
Lorsqu’on parle des débuts de l’hortithérapie, on se réfère toujours aux premières expériences menées dans les pays anglo-saxons au début du XIXe siècle. Pourtant à cette même époque on trouve maints témoignages similaires en France.
En 1828 le docteur Ferrus est médecin en chef à l’Hôpital Bicêtre. Disciple de l’aliéniste Philippe Pinel, il choisit comme ce dernier de soigner ses patients avec humanité en s’appuyant sur leur partie saine : il s’agit de les responsabiliser en leur faisant prendre conscience des conséquences de leurs actes. En outre, le fait de les occuper présente l’avantage de leur éviter une oisiveté néfaste : il est impératif qu’ils puissent s’oublier au travers d’une activité, leurs idées délirantes étant laissées de côté pendant ce laps de temps. Convaincu par l’expérience menée dans le jardin potager de Bicêtre, Guillaume Ferrus décide d’employer une cinquantaine d’aliénés convalescents à des travaux agricoles et les envoie à la Ferme Sainte-Anne située près de la barrière de la Santé :
Nous occupons journellement, quand le temps le permet, plus de 150 aliénés à des travaux de terrasse, de culture, de maçonnerie, de badigeonnage, de menuiserie, de serrurerie et même de charpente. Aucun accident n’est encore venu troubler la satisfaction que j’éprouve à voir travailler nos malades, et il faudrait qu’il en arrivât de bien inattendus et de bien graves pour balancer les avantages que le travail leur a procurés. L’état sanitaire de la division des aliénés et la tenue générale ont infiniment gagné à cette mesure ; les guérisons sont devenues plus rapides, les rechutes plus rares. Tel maniaque mis au travail de la brouette quelques jours après son entrée et à peine sorti du délire le plus insensé, peut bien profiter de l’intervalle du repas pour jeter son bonnet en l’air et pour débiter des extravagances ; mais, encouragé par l’exemple des autres travailleurs et par les exhortations des surveillants, il se remet à l’œuvre et le soir en rentrant au dortoir, il s’abandonne au sommeil le plus calme et le plus bienfaisant.
Ce modèle fut ensuite adopté par tous les asiles français. En revanche, on décida d’y incorporer des aliénés en cours de traitement, pas seulement ceux en voie de guérison. Toutefois tous n’étaient pas éligibles à l’activité de jardinage ou de travaux agricoles. Les cas de démence les plus graves, les idiots, les épileptiques – autrefois enfermés avec les fous et susceptibles de se blesser lors d’une crise – étaient exclus. Face à l’afflux des malades mentaux, pour pallier au manque de terrains à exploiter, les institutions psychiatriques mettent en place différents ateliers (blanchisserie, corderie, serrurerie, menuiserie, etc..). Les statistiques de l’Asile de Saint-Yon à Rouen mentionnent en 1843 deux infirmiers surveillant 50 à 60 malades travaillant au terrassement et au jardinage. 1863 voit même la création d’un asile médico-agricole à Leyme dans le Lot. Les aliénistes sont désormais convaincus de la pertinence du traitement :
Il n’était pas besoin que la progression dans le chiffre des guérisons, vint démontrer les heureux effets du travail. Ces effets, la théorie pouvait et devait les faire pressentir. N’était-ce pas, en effet, un moyen rationnel de dériver l’excitation cérébrale que de la concentrer sur les contractions musculaires ? Il faudrait nier l’influence du physique sur le moral, c’est- à-dire l’évidence, pour contester l’efficacité de l’influence exercée sur l’état mental par une excellente constitution physique. Or, les travaux agricoles tendent à ce résultat, en perfectionnant l’hématose d’une part, et de l’autre les fonctions digestives. Ils éloignent le scorbut, la tuberculisation, toutes les maladies par émaciation, et peuvent même être considérés comme prophylactiques de cette terrible complication de la folie, la paralysie générale. Ils tendent à régulariser la circulation, en général, et la circulation cérébrale, en particulier; de plus, il y a un effet moral produit par la campagne, une douce influence de la nature à laquelle participe l’aliéné comme l’homme raisonnable.
Pendant la Grande Guerre, la médecine militaire reprend ce même principe pour les « nerveux », autrement dit ceux qui ont subi un traumatisme psychique sur le front. Mais considérant que l’activité de jardinage peut également être utilisée en neurologie ou rhumatologie, on décide d’y employer aussi les blessés de guerre. Dans ce cas, on choisit l’activité en fonction du handicap physique et le poste de travail est adapté afin de permettre au patient de vaquer à ses tâches avec un maximum d’autonomie. A cet égard, il faut citer le professeur de médecine Jean Bergonié qui lui-même mutilé est particulièrement sensibilisé à cette problématique de la rééducation des blessés de guerre.
Au XXe siècle, cette clinique d’activités prend le nom de thérapie occupationnelle ou ergothérapie. Dans le domaine de la santé mentale, les jardins thérapeutiques se sont désormais ouverts à un large spectre de pathologies : autisme, troubles du comportement alimentaire, maladie d’Alzheimer.
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Sur l’hortithérapie, voir aussi les articles de ce site, dans la rubrique Ecopsychologie notamment.