Pauvres taupes… On le savait – l’internet le confirme : à voir le nombre pharamineux de discussions sur les mille et une manières de (ne pas arriver à) se débarrasser des taupes, voilà l’un des animaux les plus détestés, voire haïs, de la très grande majorité des jardiniers. Et pas seulement des jardiniers : de toutes les personnes qui, même sans jamais jardiner, ont sous les yeux (et sous leur pouvoir) quelques mètres carrés de pelouse.
L’apparition des taupinières provoque des phénomènes d’une telle ampleur que l’écopsychologie se devrait de les étudier rapidement : car voilà nos jardiniers, paisibles et doux quelques minutes auparavant, bisoutant chats et enfants, émus devant papillons et coccinelles, soudain transformés en des soldats furieux de l’anti-taupe, qui feraient passer les tortionnaires des camps de prisonniers chinois ou américains pour des militants de la non-violence.
Armes à feux (oui, certains attendent des heures, à l’affût, avec leur fusil, pour tirer sur les taupinières surgissantes), produits chimiques (Monsanto possède paraît-il un autel de bénédiction économique aux taupes), gaz (oui : des jardiniers balancent du gaz dans les galeries, soit pour asphyxier, soit pour tout faire exploser !), eau (à défaut de gaz, des litres et des litres envoyés sous terre avec l’espoir que celles qui y vivent seront ainsi noyées), gadgets (une ribambelles d’appareils électroniques, soit disant à ultrasons, plument surtout les pigeons qui les achètent – qui entendent d’autant moins les ultrasons que, le plus souvent, ces chinoiseries n’en produisent même pas), pièges en tout genre, etc.
Faut-il préciser que les solutions les plus cruelles semblent souvent les plus appréciées ? La haine des taupes est telle que l’éradication violente est préférée par nombre de jardiniers aux stratégies destinées à simplement éloigner ces braves bestioles.
Quant à la coexistence, n’en parlons pas : on compte sur les doigts d’une patte de taupe (à votre avis, combien ?) les jardiniers qui, simplement, paisiblement, co-existent avec elles. Soit parce qu’ils savent qu’elles sont utiles et même précieuses pour l’écosystème auquel elles appartiennent, soit simplement parce qu’ils respectent ces animaux qui sont chez eux dans cette terre, ce terrain, tout autant que nous, voire encore plus, vu qu’ils y étaient bien avant qu’on y arrive et qu’on s’en déclare “propriétaires”.
Qui nuit à qui ?
Les taupes, en ce sens, comme tous les animaux (et tous les humains, soit dit en passant) à un moment ou à un autre proclamés “nuisibles” (souvent parce qu’ils occupent en effet des terres que veut l’Homme-dominant-du-moment), sont de merveilleuses révélatrices. Elles nous parlent de la capacité de chacun d’entre nous en particulier, et de notre espèce en général, à partager la terre, à respecter les autres formes de vie qui y habitent.
Au jardin thérapeutique, c’est encore plus vrai. Hors de question de tenter de les détruire par tout moyen qui peut blesser ou incommoder des usagers.
Mais au-delà : pourquoi les tuer ? Parce qu’elles sont dangereuses ? A moins que vous soyez un vers de terre, elles ne risquent pas de vous manger. Et sont certainement moins nocives que les tondeuses et autres appareils qui sont sur la pelouse et non dessous. Parce que leurs taupinières sont laides ? Pas plus que les innombrables voitures qui sont garées sur le parking de l’établissement.
Il existe tout un tas de choses qu’on pourrait détruire parce qu’elles sont dangereuses, nocives, laides. Regardons autour de nous : entre les avions, les voitures, les produits chimiques qui traînent dans les placards, les câbles électriques, les publicités, les batteries et piles… : bien plus de choses moches et nocives en effet que de taupes dans notre jardin. Et pourtant on ne les détruit pas…
La triste réalité, la triste vérité ? La vie des taupes nous paraît bien moins importante qu’une voiture ou une tondeuse. Qui ont un prix. Alors que la vie d’une taupe, n’a qu’une valeur : celle d’une vie de taupe ; et celle que nous allons lui attribuer. Il suffirait que des hommes regardent ces petites bestioles noires avec les yeux qu’ils ont pour les petites choses noires qu’ils appellent i-phone pour que les destructeurs de taupes soient considérés comme des barbares.
Les taupes, bel et bien, nous apprennent. Que si on les tue, c’est parce qu’on s’estime toujours Maîtres de tout, de la Terre en général et de ses habitants en particulier, que nos valeurs placent plus haut le look moquette d’un gazon que la vie des autres animaux, et qu’on ne résiste toujours pas à la pathétique sensation de se sentir forts et puissants en détruisant les plus vulnérables.
Elles révèlent quel genre d’humains nous sommes. Dis-moi comment tu vis avec (ou sans) les taupes, et je te dirai qui tu es.
Paranoïa anti-taupes
Il faut avouer que la taupe possède un gros défaut : elle est fort taquine, et, malgré sa très mauvaise vue, choisit (à l’odeur, aux bruits ?) ses victimes préférées parmi deux catégories bien particulières. Prédilection d’abord pour ceux qui rêvent (et agissent souvent à grands coups de machines et de pesticides) que leur pelouse ressemble à un green de golf ou, mieux encore, à la moquette-gazon vendue chez un certain Saint qui ne méritait quand même pas ça.
Faute de ceux-là, la taupe se rabat, avec un sixième sens digne des meilleurs écopsychologes, sur le jardin des jardiniers les plus maniaques ou obsessionnels (ou les deux à la fois) de sa région : ceux-là même qui enlèvent chaque feuille qui tombe sur la pelouse, arrachent chaque plantule qui germe parmi les graminées, éradiquent les mousses, et regardent avec haine les pissenlits en fleurs dans le jardin du voisin. La taupe manque de psychologie : elle devrait pourtant se douter qu’il ne fait pas bon énerver ce genre de personnes.
La taupe, militante modèle…
Précieuse taupe. Têtue, forte, patiente, comme une vraie militante non-violente. Qui reconstruit d’autant plus ses galeries (et donc recrée d’autant plus de taupinières) qu’on les a détruites. Qui en revanche se fait d’autant plus discrète que le jardinier, comme les autres habitants de son jardin, se fait discret.
Un animal qui reconstruit d’autant plus que les humains veulent le détruire : voilà un beau modèle d’avenir pour tous les animaux de la planète. S’ils pouvaient tous résister ainsi, elle se porterait mieux, non ?
Et si l’on en profitait ?
En attendant que tous les jardiniers s’apaisent, on se proposera donc, on leur proposera donc, de faire un effort psychologique pour ne pas juger les taupinières plus moches que nos voitures ; pour vivre avec les taupes, en bon co-locataires de la même terre… ; et, au pire, si vraiment on ne peut supporter ces monticules, on se contentera d’ôter délicatement le haut de la motte, terre d’excellente qualité, qu’elles nous préparent sur un plateau pour s’en servir pour semis et rempotages.
Les un peu plus imaginatifs sèmeront sur les taupinières légèrement et doucement étalées des graines en tout genres afin de transformer peu à peu la morne pelouse en prairie fleurie…
D’autres en profiteront pour planter des arbres et pratiquer les mille et une manières de “cultiver avec les taupes” dont nous parle Natacha Leroux sur son précieux site.
Et évidemment on lira avec profit le numéro que notre Hulotte préférée a consacré aux taupes.
J’en ai régulièrement dans mon jardin et il ne m’est jamais venu à l’idée de les tuer. Elles vivent leur vie de taupe. J’essaie même de les protéger de mes chats. Respectons toutes les vies.
J’ai juste une question, comment arrivent-elles à se nourrir en période de grande sécheresse ?
Bonsoir,
Aucune idée. J’aime beaucoup les taupes mais je les connais mal.
Cela dit, il me semble que si j’étais une taupe, j’aurais un solide système de détection à distance des zones plus humides du sol et des zones plus peuplées, où près des racines notamment, plus de vie animale, plus de vers de terre, et donc plus de proies possibles. Mais sous réserve, très intense, que je ne suis pas une taupe ! 🙂
magnifique texte en l’honneur des taupes, nos amies et alliés.